Chambre à part, chambre à soi ?

L’architecture uniformisée de l’amour.

La chambre à part redéfinit l’intimité dans le couple.

Pourtant, elle interroge : est-elle le symptôme d’un couple en crise ou au contraire d’un couple amoureux et émancipé ?

La société moderne réinvente le couple autour du sentiment amoureux.
Ce choix complètement libre d’un·e conjoint·e change de paradigme cette entité familiale. Le couple se doit d’être fusionnel, de manger le même repas, d’avoir les mêmes horaires, de partir en vacances ensemble et certainement pas de faire chambre à part.

Le couple fondé sur le sentiment amoureux marque historiquement une émancipation. Pour autant et malgré cette liberté récemment conquise, de nouvelles normes pèsent sur le couple moderne. La question de l’intimité se pose différemment. Ainsi, les amoureux ont à la fois la possibilité de découvrir en toute liberté leur façon propre de vivre leur amour, de s’interroger sur leurs envies profondes, individuelles ou communes mais sont soumis, paradoxalement, à des injonctions fortes : ils doivent montrer leur fusion amoureuse, leur désintéressement financier, leur capacité à tout faire ensemble sans s’ennuyer, ou encore montrer leur amour sur les réseaux sociaux. De “vrais amoureux” sont tenus d’avoir un comportement précis, ce qui se reflète dans l’aménagement de leur habitat. 

Pour certains privilégiés, la porte de la créativité dans l’espace reste intacte. Un célèbre exemple est le couple formé par Tim Burton et Helena Bonham Carter qui, au sein d’une même maison, n’avait en commun que la chambre de leurs enfants. 

De tout temps, les couples des classes plus aisées ont pu faire chambre à part sans que cela ne définisse leur relation ou leur tendresse. L’aspect privé d’une chambre est l’élément central de l’essai de Virginia Woolf Une chambre à soi. Traduit à tort par le terme « chambre » le titre indique un espace privatif, consacré à chacun et dédié à son propre développement. Afin de faire famille avec les autres, il faut avoir un lieu pour faire famille avec soi-même, c’est-à-dire créer des liens d’intimité forte avec soi-même, se connaître et s’aimer.

De “vrais amoureux” sont tenus d’avoir un comportement précis, ce qui se reflète dans l’aménagement de leur habitat. 

Souvent moqué, faire chambre à part reste tabou alors que le phénomène n’est pas marginal. Cela est probablement dû à la glorification du couple fusionnel. Car, si le schéma traditionnel a reculé avec les années, le couple, lui, est toujours érigé en force dans le théâtre social. Ainsi, le choix de faire chambre à part est mal perçu, certains parlent de “sleep divorce”.

Cette configuration de l’espace interroge :
- “Où est votre chambre ?
- Ici et là”
La réponse déstabilise et le couple est catalogué quant à sa distanciation intime.
Son équilibre voire son futur sont facilement remis en cause. Il se voit alors contraint de justifier ou de taire ce choix. Au-delà des contraintes financières et spatiales qui obligent à partager la chambre à coucher, il est difficile pour un couple de se projeter dans cette configuration. Elle n’est pas perçue comme concourant à l’épanouissement intime et personnel mais comme une réponse à un problème latent.

L’absence de remise en question de cet archétype peut se révéler cruelle pour bien des personnalités. L’introversion des uns ou l’extraversion des autres pourrait être considérée dans la structuration de l’espace et de l’emploi du temps. 

D’ailleurs, lorsque le télétravail est devenu obligatoire, un espace y a directement été consacré. Pourquoi est-ce que dans la sphère personnelle, la mise à disposition d’une aire privative n’a pas encore obtenu cette légitimité ?

Cela offrirait aux amoureux·ses une nouvelle perspective fondée sur l’égalité et l’autonomie. L’épanouissement personnel de chacun mais aussi du projet commun bénéficierait d’avoir une telle traduction, concrète et aménagée. Le couple, longtemps déterminé par un axe genré, délimitant le rôle et les missions de chacun, se meurt.


Il est aujourd’hui à réinventer autour de l’égalité et des espaces que chacun est en droit de s’approprier. 

Et vous, avez-vous réalisé le projet d’un couple faisant chambre à part ? 

  • Comment amenez-vous la question du nombre de chambres ?

  • Avez-vous une chambre à vous, un endroit dédié à votre créativité ?

  • Si vous faisiez chambre à part demain, qu’est-ce que cela changerait ?


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